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Sanctions internationales au colloque douane du MEDEF : des enjeux transverses et complexes pour les opérateurs, mais un accompagnement de l’administration et des conseils

Affaires - Transport, Affaires
18/12/2024
Le sujet des sanctions internationales et leurs effets sur les opérateurs sont passés au crible lors du colloque douane organisé par le MEDEF le 16 décembre 2024. De l’esprit des sanctions à leur mise en œuvre opérationnelle ou répressive, en passant par l’accompagnement de la Douane ou du Trésor, jusqu’aux recommandations ou conseils pratiques, les aspects et enjeux pertinents sont exposés pour permettre aux entreprises de réagir utilement face à ces mesures multiples, complexes et sources d’insécurité juridique.
Esprit des sanctions et enjeu de coordination internationale
 
Julien Buissart, sous-directeur des sanctions, normes économiques et lutte contre la corruption au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, rappelle que cette administration joue bien sûr un rôle sensible dans la diplomatie économique et intervient très en amont dans la discussion sur les sanctions internationales. Cela a été encore le cas bien évidemment avec le 15e paquet de sanctions contre la Russie publié le matin même du colloque (sur ce sujet, voir Sanctions contre la Russie : un 15e train de mesure, Actualités du droit, 16 déc. 2024). Les sanctions sont le résultat d’un travail collectif inter-administration dans leur définition et dans l’analyse des moyens mis en œuvre, avec bien sûr aussi les entreprises.
 
Objectifs des sanctions
 
Les sanctions depuis février 2022 sont inédites par leur ampleur, leur complexité, leur rapidité d’adoption sur les premiers paquets, indique d’abord Julien Buissart. Il souligne l’importance de comprendre les objectifs des sanctions : contraindre l’effort de guerre russe par le levier financier (en visant les recettes des hydrocarbures russes) et dans sa capacité aussi à construire son armée (avec le contrôle des exportations). S’il s’agit d’infliger un coût croissant à la Russie, c’est en revanche sans jamais souhaiter l’effondrement économique ou politique de ce pays, ce qui poserait d’autres questions. L’idée est surtout d’infliger un coût de plus en plus important à la Russie pour la faire changer de comportement. Et si des négociations arrivent, les sanctions serviront également de levier à celles-ci.
 
La procédure d’adoption est européenne et comporte deux volets : les désignations individuelles essentiellement à la charge des États membres et les mesures sectorielles qui sont à l’initiative de la Commission (les États membres peuvent partager leurs propositions, mais la Commission tranche avec une procédure à l’unanimité, ce qui oblige à des compromis pas toujours satisfaisants). Le tout s’organise avec la recherche d’un équilibre, la Russie ayant un certain nombre d’interdépendance avec l’UE, mais aussi avec le reste du monde, s’agissant notamment des produits énergétiques et agricoles. Il faut donc trouver un équilibre dans la mise en œuvre, en tenant compte pour nos opérateurs de la charge que cela implique et qui ne doit être intolérable, et en évitant des atteintes critiques sur nos approvisionnements et des impacts sur les pays tiers. On reste comme l’illustre le 15e paquet précité sur une logique de renforcement de la pression et sur la lutte contre le contournement.
 
La lutte contre le contournement présente différents volets :
  • les clauses de non réexportation qui sont un sujet en elles-mêmes ;
  • les listes d’acteurs impliqués dans les circuits de contournement ;
  • des démarches auprès des pays qui sont des plateformes de réexportation qui changent : on constate en effet des circuits de plus en plus complexes avec de nouveaux pays notamment en Asie du Sud-Est ; ces démarches longues, en partenariat avec des États membres et l’Union européenne, ont apporté « un certain nombre de résultat », notamment par le message donné de cibler des produits prioritaires de la liste commune de 50 produits : en clair, « si vous ne faites rien, vous contribuez à l’effort de guerre de la Russie » ;
  • les avis sur les signaux d’alerte (que la Douane diffuse aussi) qui permettent de détecter les flux « un peu bizarres », autrement dit à risque.
 
Un autre volet qui commence à être mis en œuvre concerne ce qui est produit dans les pays tiers de deux façons : la production par des filiales ou des entreprises sous licence occidentale, ce qui nous met en porte-à-faux vis-à-vis de ces pays, et auxquelles on demande de ne pas exporter ; ou la production par des entreprises de ces pays tiers, qu’on essaye de bloquer, de freiner, en étant le plus proportionnel possible, s’agissant de ce qui contribue à l’effort de guerre russe, notamment au travers de la possibilité d’avoir des sanctions sur des banques, là aussi toujours via la compliance en sanctionnant celles qui participent à l’effort de guerre de la Russie.
 
Mise en œuvre internationale : une coordination en péril ?
 
Les sanctions depuis février 2022 sont aussi inédites par la coordination entre alliés s’agissant des objectifs politiques, selon Julien Buissart (si cette telle coordination s’est déjà manifestée dans d’autres cas, elle n’a jamais connu cette ampleur) : cela s’est traduit notamment au travers des communiqués des alliés du G7 qui permettent de s’accorder sur une ligne s’agissant de mesures complexes à mettre en place (notamment le plafonnent du prix du pétrole, un embargo indirect sur les diamants russes) et de l’échange d’information nécessaire. De tels communiqués sont d’ailleurs le résultat de négociations sensibles « mot à mot ».
 
Mais le contexte géo-économique est « mouvant » notamment avec le résultat des élections aux USA. On avait en effet jusque-là un régime de sanctions internationales qui était « plutôt synchronisé » (notamment avec les États-Unis), mais, demain, sera-t-on toujours aussi aligné, interroge Julien Buissart. De plus, jusqu’ici « la prise en compte de nos dépendances critiques » était assurée, grâce à la proximité avec l’administration « Biden » sur ces sujets qui permettait de « ne pas se tirer dans les pieds les uns des autres ». Avec l’arrivée de l’administration « Trump II », le paradigme va changer : même s’il existe un alignement quant à l’objectif, cela se passera sans doute sans coordination et sans réflexion quant aux effets sur les uns et les autres.
 
Mise en œuvre nationale des sanctions internationales : ampleur et vigilance maximales, mais accompagnement des opérateurs
 
Aucun secteur n’étant épargné, la vigilance est de mise !
 
L’impact des sanctions sur les opérateurs est très difficile à mesurer, explique Pauline Ennouchy, la chef du bureau des sanctions SECFIN à la Direction générale du Trésor : on ne sait pas exactement quel est l’effet des sanctions, de la guerre, ni celui des contre-mesures russes sur les opérateurs, mais la DG Trésor est consciente de l’effet sensible des sanctions puisqu’elle reçoit en tant qu’autorité nationale compétente de nombreuses demandes d’interprétation des textes et d’autorisation au titre de certaines dérogations.
 
Dans l’élaboration des sanctions, la DG Trésor s’attache à introduire des dispositions destinées à atténuer les effets sur les entreprises et notamment, dès que c’est possible, en ajoutant des dispositions transitoires pour que les mesures ne s’appliquent pas tout de suite (ce fut le cas récemment pour les bijoux par l’ajout d’une telle atténuation pour que le marché ne soit pas trop impacté par la différenciation entre la réglementation européenne et celles des autres pays du G7).
 
Une réalité des nouvelles mesures récentes tient à ce qu’« il n’y a plus beaucoup de secteur qui sont épargnés par les sanctions : c’est plus de la moitié du commerce extérieur avec la Russie qui a été touchée », selon Pauline Ennouchy. Les sanctions concernent en effet des biens et services de plus en plus larges : des clauses « attrapent » de plus en plus de flux et avec les règles de détention-contrôle, il faut, dès lors que la géographie de la Russie est présente dans une transaction, être vigilent, ajoute-t-elle. C’est le sens du message qu’elle porte : « on n’a pas une transaction, avec la complexité des sanctions avec la Russie, qui peut être totalement exempte de vigilance », et notamment pour les exportations de biens sensibles, pour lesquels de nombreuses dispositions dans les sanctions demandent aux entreprises de vérifier par quelle banque passe la transaction, qui est l’intermédiaire, qui est le destinataire, etc. Et au-delà de ces aspects sectoriels qui sont de plus en plus larges, un focus est fait sur la lutte contre le contournement avec des outils qui ont à la fois des outils de listings (annexe IV du règlement n° 833/2014 qui permet de lister les entreprises en lien avec le complexe militaro industriel russe pour interdire toutes transactions avec ces entreprises qui sont à la fois en Russie et dans des pays tiers). Si la DG Trésor est consciente qu’il est très difficile pour les opérateurs d’identifier parmi les acteurs du commerce ceux qui pourraient impliquer un contournement des sanctions internationales, c’est tout l’objet de ces listings qui ont vocation à aider les opérateurs pour les identifier : dès lors qu’une entreprise y est listée, il n’y a plus de doute ! Mais on ne peut pas se reposer que sur ces listes : la lutte contre le contournement se fonde aussi sur la vigilance des entreprises. On en revient à toutes les notions effectivement floues qui sont en définition du droit sur la vigilance des entreprises, les « best efforts », etc. Sur ce point, la DG Trésor « reste ouverte et à l’écoute de toutes les bonnes idées » des entreprises qui pourraient clarifier le droit et le « droit mou » des FAQ de la Commission.
 
Si la DG du Trésor se tient à la disposition des opérateurs pour les accompagner dans la mise en œuvre de ces mesures de sanctions pour sécuriser leurs opérations, ceux-ci doivent d’abord déployer un effort de vigilance proportionné à la taille de l’entreprise, à la nature de l’activité, etc., précise la chef du bureau des sanctions SECFIN. Cette direction pourra répondre en effet uniquement à partir du moment où l’entreprise aura effectué un certain nombre de diligences, c’est-à-dire connaitre les intermédiaires par exemple. Si un doute subsiste, elle répondra aux interrogations. En amont également, la DG Trésor aide les entreprises à identifier les typologies à risque (avec d’autres administrations et avec son propre réseau) et fait beaucoup de sensibilisation : dès qu’un paquet de sanction est publié, elle vient en général le présenter devant les fédérations professionnelles.
 
Classique accompagnement des opérateurs par la Douane
 
S’agissant des sanctions internationales, la Douane joue aussi son rôle de partenaire des opérateurs. Ainsi, Sarah Cherion, adjointe au chef de bureau du commerce international à la DGDDI, rappelle que cette administration est là pour accompagner les opérateurs et « décoder » les différents trains de sanctions adoptés contre la Russie, mais également dans les autres domaines géographiques de sanction. Il s’agit là d’une action « au quotidien » qui prend des formes multiples.
 
Ainsi, une première forme de soutien consiste à expliciter les trains de sanctions en mettant à chaque fois à disposition des entreprises, et notamment des RDE, des notes aux opérateurs pour expliquer les nouvelles mesures et les traduire d’un point de vue douanier afin d’aider à leur mise en œuvre. Ces documents sont notamment diffusés par la Mission Action Économique et Entreprises (Ma2e) et par les fédérations professionnelles (ces notes sont réalisées en lien avec la Commission européenne et la DG Taxud, les dispositions étant adoptées à leur niveau).
 
Si ce premier moyen est nécessaire, il n’est pas suffisant. Une seconde action porte sur la communication via des tables rondes, des interventions, etc. au niveau de la DGDDI mais surtout en s’appuyant sur le réseau des pôles d’action économique (PAE) des directions régionales pour relayer et diffuser ces informations avec une plus grande proximité.
 
Enfin, la Douane répond aux questions des opérateurs : il leur faut adresser leurs interrogations aux PAE en priorité, ceux-ci les faisant remonter si besoin à la sous-direction du commerce international, qui si elle a des interrogations, interagit avec la DG du Trésor ou la Commission européenne, quand un besoin de clarté se fait sentir pour la mise en œuvre de ces mesures. Les réponses sont individualisées, chaque situation étant différente. Lorsque certains opérateurs contactent aussi directement la sous-direction du commerce international, même si le schéma classique requiert un passage par les PAE en amont, celle-ci s’attache à répondre aux questions posées pour pouvoir « apporter un confort » aux opérateurs et leur préciser ce qui est possible ou non pour qu’ils puissent continuer leurs opérations « en toute connaissance de cause ».
 
Avec les règlements sanctions, des « mesures de plus en plus créatives » ou des embargo indirects sont à mettre en place « parfois un peu déconnecté de ce qu’on connait habituellement en douane », selon la douanière qui rassure en indiquant que son administration fait aussi « remonter [à la Commission] les difficultés pour adapter les textes et les rendre plus pratiques parce qu’on a un enjeu de capacité pratique à appliquer ces mesures qui sont parfois difficiles à mettre en œuvre ».
 
Sanction nationale des sanctions internationales : adaptation de la répression, mais vigilance impérative
 
Sébastien Tiran, le responsable de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), fait lui aussi passer quelques messages utiles sur le sujet des sanctions internationales, une « top priorité » pour la Douane, comme pour la communauté du renseignement. Il vise certes les sanctions contre la Russie mais aussi toutes les autres, même s’il y a bien sûr « un avant et un après 24 février 2022 » (date de l’invasion de l’Ukraine par la Russie) et ajoute que la lutte contre les contournements est « une prérogative très, très forte de la Douane et de la DNRED en particulier ».
 
Une réponse répressive ciblée
 
Si le rôle de la DNRED « n’est pas vraiment d’accompagner les entreprises », puisque son action consiste à enquêter et réprimer les infractions constatées, néanmoins, le cadre juridique national notamment en matière de lutte contre le contournement de sanctions lui donne une marge d’appréciation qui permet de « cibler la réponse répressive », souligne son directeur : autrement dit, et c’est là la culture douanière, le souci de la préservation de notre souveraineté économique et industrielle est pris en compte et « il ne s’agit évidemment pas de fragiliser des entreprises, des opérateurs qui sont essentiels à la bonne marche du pays » et à ladite souveraineté. À cette fin, cette administration dispose dans le Code des douanes des articles 459 et 458. Le premier fait du contournement des sanctions et de la tentative de contournement de sanctions un délit douanier, permettant donc potentiellement une répression via un peine d’emprisonnement (pour mémoire, la qualification de délit douanier autorise la Douane à mettre en œuvre toute la panoplie des outils techniques et opérationnels qu’elle utilise contre les narco-trafiquants – écoutes téléphoniques, balises, etc. – si elle estime que le dossier le justifie, ce qui en dit long sur la sensibilité de l’enjeu). Mais le second article, pour que le délit soit éventuellement poursuivi en justice, suppose une plainte du ministre de tutelle : autrement dit, il y a une sorte de « verrou de Bercy » (expression certes aussi employée en d’autres temps pour d’autres sujets). Face à « un domaine extrêmement complexe où la typologie des fraudes peut varier de la délinquance pure et dure jusqu’à une forme de négligence, avec tout ce qu’on peut trouver au milieu », il est utile et important « que l’État et la Douane puissent adapter la réponse répressive en fonction de la nature de l’infraction qu’elle constate et en fonction de l’élément moral ou de la connaissance coupable de l’opérateur dans cette fraude ». Et le plus souvent dans ces dossiers-là, précise encore le chef de la DNRED, il n’y a pas de plainte du ministre : les affaires se terminent par une transaction et des pénalités financières qui sont fonction de la plus ou moins grande importance de la nature de la fraude, parce c’est souvent une forme de négligence, d’imprudence, plutôt qu’une volonté caractérisée de frauder. Or, via la transaction, on notifie l’infraction, on la constate mais, en même temps, on préserve le capital réputationnel de l’entreprise et on ne fragilise pas sa capacité à agir à l’international. Les différences de situations entre les grandes sociétés qui disposent de la structure leur permettant d’assurer leur conformité, d’être plus vigilantes sur ce sujet, et les petites sociétés plus petites pour lesquelles c’est plus difficile, est bien sûr prise en compte dans cette transaction.
 
La « culture du risque » pour déceler « l’atypique »
 
Un enjeu demeure quand même pour les opérateurs de développer une culture du risque au sein de toute la société, chez toutes les personnes susceptibles d’être concernées par les opérations d’import-export, insiste Sébastien Tiran : il faut appeler l’ensemble des acteurs à la vigilance et avoir cette culture de détecter l’opération, l’intermédiaire, l’importateur « atypique » : « le truc un peu bizarre que vous n’avez jamais vu et qui d’un coup apparait sorti de nulle part ». Cette capacité à détecter ce phénomène-là est d’ailleurs un élément que la Douane appréciera dans l’enquête qu’elle va mener. Il cite à titre d’exemple un dossier dans lequel une société exporte des matériels extrêmement sensibles et qui se trouve subitement face à un acheteur qui apparait dans un pays tiers avec lequel elle n’avait pas l’habitude de commercer à l’exportation : la Douane a découvert qu’il s’agissait d’un intermédiaire pour un groupe russe, non pas à l’issue d’un enquête complexe ayant mobilisé d’énormes moyens, mais par une simple recherche sur… Google. On est là, selon le chef de la DNRED « à la limite entre l’imprudence et le début d’une forme de connaissance occupable ». Dans un autre dossier en revanche, une société a seulement fait l’objet d’une transaction avec une amende modeste parce qu’elle faisait face à « un schéma de fraude hyper sophistiqué » et « objectivement », au vu ses capacités, il ne pouvait lui être reprochée de ne pas l’avoir détectée.
 
Bref, dès que quelque chose d’inhabituel, de bizarre, d’atypique, se passe, l’opérateur doit mettre le « pied sur le frein » et le faire remonter via ses interlocuteurs locaux (services douaniers, MEDEF, etc.) pour déterminer s’il existe un danger qui mérite de s’arrêter et d’être prudent, ou si au contraire il est possible de poursuivre.
 
Les sanctions internationales au quotidien : le regard des opérateurs
 
Pour Marianne Estève, Directrice Sanctions Internationales, Embargo et contrôles des exportations du groupe La Poste et présidente du comité Douanes & Contrôle export du MEDEF, qui modère la table ronde, l’importance de la dimension internationale et de l’accompagnement institutionnel ci-dessus sont des aspects sensibles. Et elle souligne à juste titre qu’il importe aux opérateurs d’avoir « un dispositif, dans la mesure du possible, assez lisible » : en effet, leur défi face à ces réglementations qui évoluent en permanence et sont complexes, avec leurs zones d’ombre parfois s’agissant par exemple d’obligation de moyen ou de résultat, est d’être capable de savoir ce qu’ils peuvent faire et à quel moment.
 
Une situation inédite d’empilement de normes complexes et donc des enjeux multiples
 
« C’est la première fois qu’on est dans une situation comme celle-ci », souligne Maître Alexandre Celse (Cabinet Arsène Taxand), qui s’exprime là au nom des opérateurs. On est parti de pays avec des marchés ouverts et des chaines de valeur extrêmement intégrées, pour arriver aujourd’hui à un stade où on n’a jamais eu autant de rebond avec les sanctions internationales, autant de sujet de contournement, ni autant de produits concernés. Et « c’est donc extrêmement compliqué pour tous les opérateurs » et pour l’administration. Il ne faut de plus pas oublier qu’il existe d’autres sanctions (et pas seulement américaines) et un contexte réglementaire sensible avec les 350 réglementations sectorielles que la Douane doit contrôler (comme le MACF). Les opérateurs sont donc confrontés à un empilement de normes ce qui constitue un sujet majeur de gestion et de management de l’entreprise.
 
Un des enjeux pour les opérateurs touche à la transversalité : la réglementation confronte les opérateurs à « une vision croisée douane-export control-sanctions » dans laquelle la place de la douane dans l’entreprise n’est toujours facile à définir et n’est pas forcément celle où elle devrait être. Ainsi, quand on traite des sanctions, il faut maitriser « l’origine Russie » (quelle est la règle d’ONP de mon produit ?), le classement tarifaire, les Incoterms, etc. La question se pose de savoir si le service en charge de la douane est au bon endroit dans l’entreprise pour répondre à ces sujets, de sorte qu’il puisse appréhender celui des sanctions.
 
S’agissant de la réglementation elle-même, « ça va vite, ça va très vite, un peu trop vite », selon l’avocat. L’enjeu d’adaptabilité, d’agilité est lui aussi sensible et il très compliqué pour les opérateurs de plus petite taille, en tous cas ceux qui n’ont pas les outils clef en mains pour le faire, d’y répondre.
 
L’interprétation de la norme est aussi un sujet. Si la Douane fournit certes un effort très conséquent sur ce point, on est face à une réglementation d’interprétation stricte, mais qui reste parfois à interpréter et/ou pour laquelle il existe encore des divergences entre les États membres. Ainsi, parfois, certains ont indiqué qu’il n’était pas nécessaire de viser la Russie dans une clause de non réexport, alors que d’autres ont au contraire dit qu’il le fallait. L’enjeu interprétatif est donc quotidien, difficile à appréhender et mérite un effort collectif important.
 
S’agissant de la mise en œuvre opérationnelle de cette réglementation, « parfois, il y a des enjeux de réactivité qu’on aimerait bien voir réduits », indique Maître Celse. Il illustre son propos avec les DTP, la base des codes additionnels communautaires, la mention qu’on porte sur les documents d’exportation : une mise à jour a eu lieu le 19/10 (un samedi), avec une entrée en vigueur le 21/10 (le lundi matin). D’un point de vue opérationnel, c’est compliqué pour les opérateurs sur la chaine logistique dont les RDE (qui ont dû faire œuvre de pédagogie dans leur devoir de conseil pour dire à leur client qu’ils avaient besoin d’eux pour confirmer une information).
 
L’enjeu contractuel est majeur lui aussi : l’intervention du chef de la DNRED sur le sujet des contournements a bien fait comprendre que le contrat n’est pas suffisant au regard de la réponse répressive. Toutefois, le contrat est « malgré tout essentiel parce que c’est la première pierre de la relation contractuelle » et il faut bien distinguer l’enjeu de responsabilité vis-à-vis de la Douane versus la responsabilité contractuelle. Un certain nombre d’opérateur du commerce international intervenaient, interviennent encore sans contrat, et une pédagogie a été et est nécessaire sur ce point avec la clause de non réexport. La réglementation s’étant invitée dans la relation des parties, il fallait en effet introduire ces clauses Mais cela a été compliqué, y compris vis-à vis d’opérateurs français, de les faire passer et de les faire évoluer (certains opérateurs ne pouvant d’ailleurs pas modifier leurs contrats). Sur ce point, une autre difficulté se pose s’agissant de l’anticipation au regard du process de conformité.
 
S’agissant du contrôle, il ne faut pas seulement voir l’élément intentionnel tel qu’on l’entend stricto sensu avec la volonté, l’intention dolosive de commettre l’infraction : on est dans une infraction qui est formelle et on a « des textes qui aujourd’hui mettent en risque tous les opérateurs », selon Maître Celse (ce qui va impacter tous les process de conformité). Parce que ce qui est prohibé, c’est l’achat, la vente, la fourniture directe ou indirecte et le contournement. Si on observe l’article 12 du règlement n° 833/2014 qui est dédié à ce dernier, on constate une évolution intéressante, puisque jusqu’au début de l’année le contournement correspondait à la prohibition d’une activité ayant pour effet de contourner les interdictions prévues par le règlement, mais cette activité devait être volontaire ou délibérée. Puis il a été modifié avec un ajout : y compris lorsque cette intervention ne recherche pas cet effet ou cet objet, mais peut avoir pour conséquence cet effet ou cet objet et en acceptant cette possibilité. Au-delà d’un texte qui est « extrêmement difficile à comprendre », selon l’avocat, l’enjeu de compliance aujourd’hui pèse sur les opérateurs lorsqu’une négligence, pour le contournement, est matérialisée, avec à la clé le risque d’une notification d’une infraction. On est donc dans une situation d’insécurité juridique où il appartient aux opérateurs de déployer des process de gestion de risque qui sont les plus importants possibles (en sachant que la Douane va tenir compte de la taille, de l’activité de l’entreprise, etc.), mais la difficulté majeure est de déterminer où doit être mis le curseur, c’est-à-dire quel degré de conformité un opérateur doit déployer pour s’assurer qu’il n’y a pas de risque, ou qu’il est le plus limité possible. Dans les faits, si effectivement dans les dossiers contentieux on transige la plupart du temps, l’administration prenant bien en compte une simple négligence manifeste, la Douane pourrait faire des recommandations sur ce point.
 
Des recommandations possibles
 
Formulées par Maitre Celse, des recommandations sont destinées tant à l’administration qu’aux opérateurs.
 
Pour l’administration, il souligne d’abord notamment le sujet de l’autodénonciation qui est en lien avec le contrôle : si des textes visent l’autodénonciation et le fait de la prendre en compte, on manque toutefois selon l’avocat de mesure pédagogique sur ce point en France, alors que d’autres pays en disposent. L’administration en tient compte au moment de la transaction, mais il y a une vertu pédagogique à développer ce thème, les opérateurs se trouvant dans des situations un peu difficiles ou constatant des problématiques au regards des sanctions internationales ne sachant aujourd’hui pas quoi faire. Ensuite, l’administration doit poursuivre sa démarche de démonstration des mécanismes de contournement et continuer à donner accès aux opérateurs à cette information. Enfin, l’enjeu réglementaire du contournement pour l’administration s’immisçant dans l’enjeu de conformité de l’entreprise, il faut, selon Maître Celse, « aller au bout de cette démarche et il serait intéressant d’obtenir de l’administration des indications de ce que doit être un ICP » (ou PIC pour process interne de conformité). Si on a certes déjà des FAQ en quantité avec plein d’indices, elles sont finalement parfois difficiles à lire.
 
Pour les entreprises, « la clef c’est matérialiser la diligence », explique Maître Celse. Au-delà d’avoir des process de conformité, l’objectif en cas de contrôle est de démontrer à l’administration que le travail a été fait et comment il a été fait. De plus, il ne faut pas isoler la douane, l’export contrôle et les sanctions : au contraire une vision transversale est nécessaire et l’enjeu douanier doit être replacé au cœur de l’entreprise. Le classement tarifaire de la marchandise correspond en effet au point de départ et il faut ensuite dérouler des programmes internes de conformité avec des outils (certains existant pour les BDU), du KYC (connaissance de son client) au KYP (connaissance de son process) jusqu’au contrôle a posteriori (autocontrôle, par exemple avec des logiciels pour vérifier où les produits arrivent pour les opérateurs qui en ont les moyens). Autrement dit, il faut suivre l’ensemble de la chaine, du rapport au fournisseur initial ou aux partenaires, en passant par l’aspect contractuel et en réalisant les autocontrôles qui peuvent être engagés.
 
 
Source : Actualités du droit